De Vancouver à Dakar, en passant par Beyrouth et sans oublier l’Irak, Quentin Bruno, 25 ans, a déjà mis les pieds un peu partout. Passionné de photo, c’est toujours accompagné de son appareil qu’il a sillonné le monde et immortalisé des clichés tous aussi forts les uns que les autres. Rencontre et portrait de ce jeune Bruxellois qui n’a pas froid aux yeux.
Il n’a que 25 ans, et pourtant Quentin donne l’impression d’en avoir le double tellement il a vécu d’aventures. Cela fait six ans maintenant que ce passionné de boxe anglaise s’est lancé dans la photographie. Se décrivant comme hyperactif, le jeune homme en perpétuelle recherche de sensations extrêmes et de dépassement de lui-même, vit au rythme de voyages, de rencontres et d’expériences inoubliables.
Bien plus qu’un photographe, Quentin n’hésite pas à utiliser son art pour dénoncer. Il fait part d’une certaine réalité dont on n’a pas souvent conscience, à travers clichés et portraits qui lui permettent de raconter des histoires et transmettre des émotions.
« Faire de la photo c’est un plaisir car, au final, j’essaie d’en faire des peintures. »
Une obsession pour la photographie
Né à Bruxelles d’un père travaillant dans les logements sociaux et d’une mère architecte, c’est précisément à Forest que grandit le jeune homme. Enfant unique, Quentin étudie à l’école du Val Fleuri (Uccle) puis à l’Athénée Charles Janssens d’Ixelles. Au sortir de ses études secondaires, il décide de prendre une année sabbatique et de partir à l’étranger : il ira au Canada.
Mais avant de partir, le jeune homme alors âgé de 18 ans souhaite faire quelque chose qui l’obsède et le titille depuis toujours : apprendre la photo. Et ses parents n’y sont pas totalement pour rien. Très investis dans le domaine avant la naissance de leur fils, ils l’ont énormément influencé : « Mon père c’est le côté cartésien, ma mère, l’artistique. Ca a fait le mix photo parfait entre mathématique et artistique. »
Obsédé par la photographie, Quentin supplie un ami photographe de son père de lui donner des cours privés. En 4H de cours, il apprend les bases de la photo, la technique et les différentes valeurs.. qui lui rappellent les maths de son père !
Arrivé au Canada, il achète immédiatement un appareil photo. « A la seconde où je suis arrivé au Canada, j’étais obsédé par la photo. J’avais plus ou moins compris comme ça fonctionnait et j’ai mis toutes mes économies dans un appareil photo après deux semaines, c’était vraiment bête sur le moment (rires) ».
Son appareil acheté, son aventure débute. Le jeune homme se perfectionne dans le domaine alliant photographie et expériences uniques : il prend des portraits de sans-abris à Vancouver avec qui il passe 2 nuits à discuter. De retour en Europe, il ne s’arrête plus : il s’installe dans la jungle de Calais pour réaliser des portraits de réfugiés, puis enchaîne avec un reportage sur les enfants mendiants du Sénégal, il couvre différentes zones de guerre…
Plus tard, Quentin est mis en contact avec un webzine qui lui offre l’opportunité de s’ouvrir à un nouvel univers : le hip-hop. Ainsi, il collabore avec différents artistes belges et français. Citons notamment Pitcho, Bigflo&Oli, La Fouine, Nekfeu, ou encore Youssoupha.
© Quentin Bruno
Il accompagne ces artistes en concert, prend des clichés en backstage, sur scène, s’occupe même parfois du montage de certains clips et de l’entièreté des visuels d’albums. Il collabore également avec un groupe de rap palestinien. Toujours ouvert, ces nombreuses rencontres lui permettent de nouer de belles amitiés.
C’est penser à ce qui il y a derrière, aux rencontres que j’ai faites qui m’apporte le petit truc en plus que la photo en soi.
La photo c’est ce que je vais te raconter à toi. Le moment, c’est moi qui l’ai vécu.
© Quentin Bruno
« Je vis un rêve, je voyage partout, je rencontre des gens partout et c’est mon rêve de gosse. Tu rencontres des couleurs, des odeurs, j’ai rencontré des gens qui m’ont bouleversé. »

8 questions à Quentin : les sans-abris, l’Irak, la jungle, le métier
Ta première expérience photographique, ça a été les sans-abris de Vancouver… Raconte-nous !
Je prenais des cours d’anglais au Canada durant trois mois, et sur le chemin, je prenais la ligne 135. Cette ligne passe par Hasting Street, l’une des rues les plus horribles du Canada qui regorge de SDF et de drogués. J’avais envie de comprendre leurs conditions de vie pour savoir comment agir. Tant que je n’ai pas vécu ce que eux vivent, je ne peux pas comprendre comment répondre à leurs problèmes. Un jour, j’ai passé une nuit avec eux. Ils ont été trop cool : j’ai parlé à des dealers, à un mec qui n’avait plus dormi sur un lit pendant plus de 30 jours, un autre gars qui refusait de dormir car il avait son chariot rempli de canettes; s’il s’endormait on lui volerait ses canettes.. un tas de mecs comme ça ! C’était magnifique. Quand je suis rentré chez moi, je me suis dit « il faut que je raconte ça ». Du coup, j’y suis retourné deux jours plus tard avec mon appareil photo et j’ai commencé à faire des portraits. En fait, je me suis lancé dans un reportage, sans savoir encore ce qu’était un reportage (rires) ! »

De là, j’ai fait du volontariat pour les réfugiés au Canada et puis j’ai commencé à toquer à la porte de tous les photographes en disant « Je veux travailler pour vous » ! Il y en a un qui m’a dit « Je n’ai pas d’argent mais si tu veux je t’apprends la photo ». Dès ce moment, je me suis retrouvé dans un studio photo à Vancouver pendant des mois avec un gars qui est devenu un grand pote et qui m’a appris la photo. C’est comme ça que tout a commencé.
Tes clichés retracent tes voyages, tes rencontres, ton ouverture à de nouvelles cultures,… C’est hyper enrichissant ! La photographie, c’est bien plus qu’un art ?
Oui, oui, pour moi c’est comme un livre, dans le sens où je raconte quelque chose. Ca ne me plairait pas si c’était juste de l’esthétique. Clairement, la photo me permet de te raconter une histoire, de t’emmener en voyage ou encore de te transporter dans des conditions humaines que tu n’aurais jamais imaginées.

Tu n’as jamais eu peur de t’aventurer dans des lieux dangereux ou à l’accueil des populations hostiles ?
A chaque expérience, c’est différent. J’ai fait la plupart de mes reportages avec mon acolyte Clé Hunnigan, avec qui j’ai fondé le projet Kid Lost (rencontre et portraits des habitants de la Jungle de Calais). On a vécu ensemble ces aventures : il écrivait, je faisais les photos. Son aura naturelle nous a permis d’être toujours bien accueillis, et de se faire des amis très rapidement. Dans les zones de guerre, c’est différent… Pendant les quelques secondes où tu shootes, tu n’as pas conscience de ce qui se passe. Quand ton oeil se dissocie de l’appareil, que tu te rends compte de ce que tu vis, là c’est autre chose.
© Quentin Bruno
On s’est déjà fait tirer dessus à la kalachnikov, au mortier.. la totale. Y’a des moments où t’es juste pétrifié. En temps de guerre, tu ne sais jamais au moment où tu commences ta journée comment elle va se terminer. Ce n’est pas agréable mais tu dois gérer et te concentrer un max sur ton boulot, t’es là pour ça : rapporter des clichés à la maison et les envoyer aux rédactions le soir-même.

Il y a aussi cette expérience dans la jungle de Calais : tu as vécu un an avec les résidents, raconte-nous un peu. Que ressent-on quand on se retrouve là?
Il y a une réalité dont tu te rends compte sur place, c’est dingue. Calais était un endroit très particulier où il y avait une beauté incroyable chez les gens, une magie, et puis la tristesse et la pauvreté en même temps. Le pire pour eux, c’est l’attente : tu ne fais rien de tes journées jusqu’au soir, où tu essayes de passer sur les camions et dans le tunnel.
Côté ambiance, c’était comme au Moyen-Orient. Tu ne pouvais pas faire quelques mètres sans que l’on te propose de boire un thé dans une tente. On commençait à parler, on se racontait nos vies, on rigolait,… On n’était pas là pour raconter l’histoire de la jungle, on était là pour vivre en immersion avec eux, raconter l’histoire de ces gens que l’on rencontrait avec qui on a passé des moments incroyables.
Cette année-là a été un réel élément déclencheur cette année dans ma vie. Une expérience à base de vrais sentiments, c’était quelque chose de bien. Calais, c’est tellement riche en humains que c’est transcendant, ça t’éclate le cerveau comme si tu sortais d’un examen quoi. C’est quelque chose que je n’oublierais jamais.

« Chaque personne est un humain, a un nom, une histoire. On n’est pas juste un réfugié ou un mendiant. »
Tes photos sont assez dénonciatrices et font part d’une certaine réalité dont on n’a pas forcément toujours conscience ici… Quel est ton but ? Conscientiser les foules ? Peut-on alors dire que tu es « engagé » ?
Je pense oui, j’essaie. Je le fais, je pense, de manière douce parce que je pense qu’il y a des gens qui ont beaucoup plus d’impact. Mais en tout cas je me suis toujours battu pour mettre l’humain et sa beauté en avant dans mes photos, et clairement je me sens engagé là-dedans. Notamment avec Kid Lost, qui a été mon grand projet, dans la jungle de calais. Je me suis battu pour que ça transpire l’humain. C’est quelque chose pour lequel je me battrai toujours, donc oui, finalement, je me sens engagé.
Es-tu inquiet par rapport à l’avenir de la photographie ? Penses-tu que l’on sous-estime cet art ?
Que l’on sous-estime, oui, mais on ne peut pas le surmédiatiser. Il est surexploité, dans le sens où il y a un amas immense d’images au quotidien. Quand tu vois le nombre de bandes photos importées par jour, c’est de la folie ! Ca complique la tâche.
Moi, je suis mort de peur pour l’avenir de la photo. A chaque fois que je rentre d’un reportage, n’étant pas très organisé, je ne sais pas quoi faire. Tu ne sais pas de quoi tu vas bouffer, tu ne sais rien. C’est difficile d’en vivre, la photo. Tu ne sais jamais de quoi est fait ton futur, tu dois être proactif, car t’es freelance, t’es indépendant, ce n’est pas facile… Mais c’est excitant en même temps car il n’y a pas de routine qui s’installe. C’est un métier stressant, mais on ne peut pas se plaindre !
« J’ai déjà vu une fille avec qui j’étais qui a pleuré quand je lui ai montré des photos. C’est magnifique, c’est ce qui me fait lever le matin, ce qui me fait battre depuis mes 18 ans sans jamais avoir fait d’étude à vouloir transmettre ce truc. »
« La photographie c’est… De la passion, du rêve et un défi permanent. »
Le mot de la fin ? Une phrase qui t’inspire ?
« Photographier c’est mettre sur la même ligne de mire la tête, l’œil et le cœur. » de Henri Cartier-Bresson.