À l’âge de 16 ans, Pauline Nissen a réalisé son rêve : la jeune namuroise a vu le manuel dont elle est l’auteure, être publié par la maison d’édition Gai Savoir. La publication de son manuel marque la fin de trois ans de travail acharné et sonne comme une récompense. Rencontre.
Depuis déjà 1 mois, les élèves ont repris le chemin de l’école et ont pu s’approprier leurs nouveaux manuels de cours. Des manuels qui demandent beaucoup de travail à la conception, et ça, Pauline le sait bien pour avoir elle-même écrit, mis en page et publié le sien : Le Néerlandais RÉCAP 1.
Inscrite en immersion à l’ESND Namur, Pauline a accroché dès la première année au néerlandais et s’est découvert une passion pour la langue de Vondel. La jeune adolescente, qui n’avait pourtant pas un bon niveau, a très vite décidé d’écrire des synthèses regroupées dans un petit cahier. Une initiative qui lui a permis de faire des progrès et de combler ses lacunes. Mais ce cahier n’a pas été utile qu’à elle : « J’ai commencé à le rédiger et mes camarades venaient me demander « Pauline tu ne voudrais pas nous passer ton cahier de néerlandais pour que l’on puisse compléter nos notes et également étudier ? ». A la fin de l’année, j’en ai parlé à mon professeur. Puisqu’il s’avérait utile à autant d’élèves dans ma classe, il aurait donc été intéressant de le publier à plus grande échelle pour d’autres élèves de mon âge. Il a donc repris et corrigé mon cahier. Les 2 mois qui ont suivi (juillet-août), j’ai commencé à retaper tout mon petit cahier sur un document Word. »
Une mascotte pour son manuel
C’est à partir de ce moment que son futur projet de manuel prend de l’ampleur. Pauline en parle autour d’elle, et fait la rencontre de Xavier Vanvaerenbergh, directeur des éditions Ker. Étant plutôt spécialisé dans les romans, il conseille Pauline et lui glisse l’idée d’associer son manuel à une « mascotte » : « J’ai choisi un zèbre qui s’appelle Zebra Pad, qui signifie « passage pour piétons ». Apprendre une langue, je l’ai toujours vu comme traverser un passage piéton, passer sur un chemin protégé. Quand tu as le vocabulaire et la grammaire d’une langue, tu évites des accidents d’incompréhensions avec l’autre. C’est assez imagé, il faut le comprendre. »
Il y a énormément de choses à gérer, on ne se rend pas compte… Ça a pris plus de 3 ans !
Bien accompagnée dans son projet, Pauline a également pu compter sur l’aide de plusieurs de ses professeurs, ainsi que ses proches. Sa tante, par exemple, s’est occupée des illustrations. Une véritable fourmilière dans laquelle elle pouvait diriger les opérations : « Ce qui est drôle, c’est que les personnes travaillaient chacune de leur côté, mais sans se connaître. J’étais vraiment comme une toile d’araignée, je reliais les personnes entre elles, je devais appeler, envoyer des mails. Je songe à organiser prochainement une fête avec toute l’équipe RÉCAP. » avant d’ajouter « Ils ont participé jusqu’au bout, c’est vraiment chouette ».
Pour éditer son manuel, Pauline a finalement été convaincue par la maison d’édition Gai Savoir, avec son ambiance familiale et de qualité. Et puis, le test grandeur nature : c’est dans son école, qui recommande le manuel, que les premiers RÉCAP ont été distribués. Un premier jet qui lui a permis d’avoir de nombreux retours pour la deuxième version, sortie mi-septembre 2016. Un délai un peu court pour convaincre d’autres écoles cette année, mais il en faut plus pour décourager l’Andennaise. Le 14 octobre 2016, elle espère attirer d’autres établissements lors du salon de l’éducation où son manuel sera mis en avant lors d’une conférence.
7 questions à Pauline Nissen
Comment as-tu combiné ton projet, l’école et tes hobbys ? Pas trop difficile de tout gérer à la fois ?
Avec l’école au début ça a été, mais c’est surtout l’année passée que c’est devenu compliqué. J’avais un horaire complet, et ça a été le lancement de la première version de RÉCAP, qui a suscité pas mal d’interviews. Entre ça, les devoirs, assister aux cours, puis tout le travail autour du manuel… à un moment tu satures ! J’ai dû dire non pour mes hobbys aussi, il a fallu faire des sacrifices à ce niveau.
Comment ont réagi tes parents à l’annonce du projet ?
Quand j’ai expliqué le projet à mes parents, ils ne pensaient pas que c’était réalisable. Ils avaient peur que je me fasse trop de films. A l’époque, je m’imaginais être publiée par De Boeck. En fait, c’était la seule maison d’édition que je connaissais. Je me suis vraiment mise à part pour la rédaction de mon manuel, en mode Batman, en disant que je faisais mes devoirs. Mais pendant les vacances, il n’y pas de devoirs (rires).
L’année dernière, quand on a sorti les premiers manuels pour mon école, des journalistes m’ont contacté. Et des maisons d’édition dans la foulée… dont De Boeck !
Qu’est-ce que cela t’a apporté sur le plan personnel ?
J’ai appris le contact avec les adultes. Ce n’est pas vraiment une chose qu’on apprend à 12 ans. Il y a aussi InDesign (qui lui a été appris par son professeur d’histoire) et Photoshop. Après 2 ans de projet, je me suis aussi lancée sur le site internet. Et puis, même en néerlandais j’ai évolué : j’ai rencontré pas mal de Flamands donc ça m’a permis de le pratiquer. Fin de l’année passée, je suis allée en Flandre pour rencontrer des jeunes néerlandophones, afin d’enregistrer tous les dialogues de mon RÉCAP (disponibles sur le site). Quand je rencontrais une nouvelle personne, je n’hésitais pas à partager le projet. Ça m’a fait aussi de nouveaux amis aussi !
Quand as-tu pris conscience de l’ampleur du projet ? Avec la médiatisation ?
Je pense que je pouvais très bien arriver à un résultat qui me plaisait sans forcément être médiatisée. Mais je me suis rendu compte de l’ampleur du projet quand j’ai commencé à passer énormément de temps dessus, quand j’avais presque envie de rester chez moi pour bosser dessus et ne pas aller en cours. J’ai quand même appris à sacrifier du temps libre après mes heures de cours pour ça. C’était énormément de boulot à gérer en même temps, donc c’est venu petit à petit. Ce n’est pas du jour au lendemain que je me suis dit « Ah, j’ai un projet ! »
Généralement quand des jeunes se lancent, ils évoquent la difficulté d’être reconnu par les adultes… Ça ne semble pas avoir été un problème pour toi ?
Globalement, je n’ai pas eu de souci, ils ont été super ouverts. Mon vrai problème a été au niveau des lois. A 15 ans, je ne pouvais pas vendre mon manuel. J’avais l’impression que le message qui m’était envoyé, c’est : « T’as 15 ans, tu restes dans ta case, tu ne sors pas ». Quand on te dit que tu dois avoir plus de 18 ans pour lancer ton projet, tu te replies un peu sur toi-même, tu te dis « Quoi ? J’ai fait tout ça pour qu’on me dise que je ne peux pas vendre les manuels parce que je n’ai pas l’âge ? » Cette situation m’a refroidie et m’a fait énormément réfléchir. Et puis j’ai eu plusieurs offres qui sont arrivées, sans même avoir eu le temps de penser à tout arrêter.
Penses-tu que les adultes ne laissent pas assez de place aux jeunes ?
C’est surtout les lois qui me dérangent, elles ne sont pas accessibles à tous les jeunes et sont, selon moi, uniquement réservées aux adultes. Je pense qu’on pourrait faire des exceptions pour certains projets. Dans mon cas, il y a dû avoir une lutte avec la Banque Nationale, qui nous a exposé plusieurs possibilités. J’ai pu être aidée par mes parents, puis dès que j’ai eu 16 ans, on s’est dirigé vers une maison d’édition et il a fallu attendre. »
Des projets pour la suite ?
On va continuer à promouvoir le RECAP, mais j’aimerais m’attaquer aux capsules vidéo : les MOOCs, avec mon manuel comme support. Ce qui serait génial avec ça, c’est que si l’élève n’a pas bien suivi en classe, il peut aller revoir le cours vidéo, le mettre sur pause, aller à son rythme, ça lui donne aussi l’opportunité d’aller plus loin. Animer mon petit zèbre et le faire intervenir dans des capsules, c’est un autre rêve… Oui oui, des cours donnés par un zèbre ! (rires).
Ma maman m’a toujours dit « Cultive ta différence ». C’est une phrase que j’ai portée tout au long de ce projet. N’écoute pas ce que pensent les autres : si tu penses être utile et que ton idée peut servir à quelque chose, fonce ! Il faut aussi se fixer des objectifs, faire un plan, rencontrer des gens. On n’avance pas tout seul, je l’ai appris aussi !